Kan Hoho : du besoin d’histoire à l’heure du 3.0

Photo : Dillon Marsh

De l’absence…

Souvent, l’on n’a retenu du discours de Dakar de 2012, du Président Sarkozy, que le soupçon fait à l’Afrique noire, d’une absence de l’histoire. Sans questionner plus le fondement ou la justesse de cette mise en cause, le malentendu qu’elle exprime est typique de l’ignorance où se tiennent encore deux mondes, pourtant appelés à se fondre ensemble dans un avenir proche  ! En effet, la différentielle démographique (stagnation européenne vs explosion africaine), la proximité géographique (l’ancienneté de commerce / l’ouverture mutuelle à la mixité), la complémentarité économique (besoins vs moyens…) rendent inéluctable, une fusion des deux continents.

 

La provocation rhétorique était voulue pourtant ; s’autorisant (expliquera-t-on…) de l’absence d’écriture en Afrique subsaharienne. Car c’est par ce critère, qu’une division canonique (euro-centrée ?) de la discipline historique, se fait : préhistoire, antiquité (apparition de l’écriture) Moyen âge, histoire moderne et histoire contemporaine. Ainsi, avec l’apparition des témoignages écrits (tablettes d’argile gravées, hiéroglyphes, parchemins, livres, etc..) les spécialistes avaient distingué une borne à partir de laquelle s’est documentée l’histoire humaine.

 

Pour autant, on sait aujourd’hui ne plus réduire le cours de l’humanité, aux seuls écrits : la tradition orale (proverbes, contes, sagas des griots, chants traditionnels et rituels religieux, schémas linguistiques etc..), les vestiges archéologiques, les œuvres d’art etc.. apportent tout un matériel, au moins aussi riche d’enseignement, au moins aussi objectif que les témoignages écrits, qui ne sont jamais exempts de biais, d’ignorances sinon de visées ou présupposés idéologiques…

 

Copper © Dillon Marsh

… au besoin d’histoire

De cet exemple, retenons la nécessité – urgente! – d’une meilleure compréhension de la forge culturelle africaine ! Cela seul favorisera l’Union que le cours du monde, nous impose et, qu’humanistes, nous appelons de nos vœux !

 

Pour nous même, d’abord

Africains, afro-descendants, afrophiles et compatibles…, si nous assumons que la grandeur de l’Egypte antique doit à la Nubie, première, selon l’intuition géniale de Cheikh Anta Diop ; il nous faut reconnaitre aussi, et sans honte pour personne, l’apport de tous les autres peuples de cet exceptionnel carrefour méditerranéen, TOUS fondateur du monde occidental dont nous faisons partie ! Mais quid, pendant ce temps, des citées d’Asie centrale, les Samarkand (Marakanda dans l’antiquité grecque, site urbain occupé depuis le paléolithique..), les Boukhara ? Quid la civilisation de la vallée de l’Hindus, contemporaine de l’Egypte et de la Mésopotamie, qui s’étendait de Delhi à l’Iran et comptait près de 5 millions d’habitants dans des villes aux noms désormais oubliés… Quid du monde chinois, terre d’Homo Erectus, qui tire son Esthétique (au sens kantien) des mongols ? Quid du monde précolombien ?

 

C’est donc le moment où nous réalisons que dans le fait humain, depuis une apparition encore mystérieuse, le Singe n’a jamais cessé de migrer, de gré ou de force, sous les déterminismes les plus variés : faim, guerre, menaces naturelles, esclavages et autres déplacements massifs contraints etc… Mais alors, toujours et autant que possible, il emportait avec lui les évolutions technologiques ou spirituelles qu’il avait pu hériter de ses devanciers. Il les mêlait, les adaptant quand l’occasion se présentait, aux peuples et lieux de rencontre, d’accueil… Peut-on seulement croire que de ces mondes aux autres, même en ces temps immémoriaux, il ne s’est jamais trouvé de voyageurs isolés tels Marco Polo ou de tribus nomades – à l’instar de nos roms contemporains – qui, dépositaires de secrets multi ancestraux, ne se soient faits les messagers de l’humanité ? Ce partage de la connaissance, n’a jamais été le propre d’un peuple unique, pas plus qu’il n’y a de légitimité à s’en attribuer une quelconque exclusivité.  Et c’est ce partage de la différence qui fonde le progrès ! 

 

Si au Paléolithique, les premières cités sont nées du développement de l’agriculture, que dire de l’amélioration continue des techniques de cueillettes et d’entreposage qui l’ont engendrée ? Que savons-nous des alliances fécondes des chasseurs (premières sociétés secrètes) ? Issus de clans étrangers, partis en des expéditions lointaines, ils furent rendus solidaires par la menace d’une nature qui les dominait tous. Après, chacun rentrait chez soi. Ensuite, les prêtres et les chamanes, que la richesse économique inédite de la cité permettait d’entretenir, se chargeaient d’en tirer la doxa qui devait diriger le corps social ! De se forgeait, en des temps différents, la saga de ces groupes, puis de leurs peuples, que nous avons nommée Histoire !

 

Pour les autres aussi

Européens, asiatiques, américains, verts et violets…. Nommez les couleurs de la mosaïque humaine, pour savoir qu’il est à leur honneur, d’avoir tenu pleinement, le rôle historique inouï de la vulgarisation de l’écriture. Diffusant ainsi la connaissance, vers le plus grand nombre et permettant alors, à la réflexion critique, de se nourrir facilement des avancées des prédécesseurs… ils ont fécondé le chemin de la connaissance. Au reste, les développements qu’ont connus leurs zones géographiques d’origine, le doivent les uns aux autres, selon une concentration de la connaissance favorisée par l’économie (nous la nommons brain trust). Ce ne fut plus alors qu’une question d’inférences combinatoires sur une Epistémè représentable… résumé certes, un peu abrupt et assurément contestable, non infondé pourtant.

 

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Définition : Epistémè

 

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L’épistémè est l’ensemble des connaissances scientifiques, du savoir d’une époque et ses présupposés. C’est à Patrick Juignet, médecin psychanalyste français, commentant Michel Foucault,  que nous empruntons la définition suivante : l’épistémè d’une époque renvoie à une façon de penser, de parler, de se représenter le monde, qui s’étendrait très largement à toute la culture. Dans Les mots et les choses (1966) et L’archéologie du savoir (1968) Foucault décrit trois épistémè successives : celle de la renaissance, de l’époque classique, et de l’époque moderne. C’est un concept à cheval entre la philosophie générale, l’histoire et l’épistémologie.»

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 Notre projet !

Pour autant, il demeure de nombreuses inconnues quant au choix de l’Afrique noire, de renoncer au développement technique, au sortir de la Nubie. Les relations sont attestées aujourd’hui, du Kanem au Yoruba-land, quand le royaume Kongo s’étendait jusqu’aux grands lacs, portes du Soudan et du Kenya, vers l’Ethiopie… Était-ce donc la seule humidité tropicale qui a empêché l’érection de citées monumentales, au rebours du Monomotapa ? Quels ont donc pu être les motifs guidant le choix de la précarité, pour les peuples premiers ; leur dévolution exclusive au magico-spirituel et son impératif du Secret ? Quid le bilan écologique de ces choix pour la préservation de la diversité et l’hypothèse Gaïa, selon un questionnement contemporain ? Voilà de nouvelles pistes de réflexion quant au parcours choisi – ou pas – par chaque peuple.

 

En attendant de pouvoir y répondre, il est fondamental de s’approprier déjà la documentation qui a pu être rassemblée, analysée à ce jour ! Tout européen sait de la Grèce et de Rome, des barbares et vikings, de Charlemagne à Napoléon. Combien d’africains connaissent de la Nubie ? Combien savent qui fut premier de, Kanga Moussa ou Soundiata Keïta ? Combien savent situer l’empire Monomotapa ?

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L’empire du Grand Zimbabwe

Le Monomotapa (établi par les Gokomere, ancêtres du peuple Shona) connaît son apogée au milieu du 15e siècle, grâce au commerce de l’or. Bien que les Portugais tentèrent de dominer l’empire dès 1505, ce sont des factions rivales, et l’épuisement de l’or des rivières, qui provoquèrent sa chute. Il tomba sous domination portugaise en 1629. Photo © Luís Ferreira

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Au seuil des indépendances africaines, l’Unesco a initié à partir de 1964, un projet de rédaction d’une Histoire Générale de l’Afrique. Le projet prévoyait d’une part la rédaction d’un socle scientifique rendant compte du cheminement général des peuples africains et d’autre part, la diffusion comme manuel d’histoire des classes du continent, afin que tous en sachent !

 

La première phase du projet s’est achevée en 1999 avec la publication de 9 volumes, à savoir :

• Volume I – Méthodologie et préhistoire africaine

• Volume II – Afrique ancienne

• Volume III – L’Afrique du VIIe au XIe siècle

• Volume IV – L’Afrique du XIIe au XVIe siècle

• Volume V – L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle

• Volume VI – Le XIXe siècle jusque vers les années 1880

• Volume VII – L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935

• Volume VIII – L’Afrique depuis 1935

• Volume IX – Les cartes géographiques de l’Afrique

 

La seconde phase, dénommée l’Utilisation pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique « se fixe pour objectif de contribuer à la rénovation de l’enseignement de l’histoire dans les pays africains et de promouvoir le processus d’intégration régionale lancé par l’Union africaine. Il consiste à élaborer des contenus communs en histoire à l’usage des écoles primaires et secondaires africaines ainsi que les guides pédagogiques correspondants à l’intention des enseignants. Ce projet vise également à promouvoir l’utilisation et à harmoniser l’enseignement de l’Histoire générale de l’Afrique dans les institutions de l’enseignement supérieur à travers le continent. ».

 

La diffusion est donc en œuvre,  à l’adresse des écoliers et universitaires africains. A l’âge de la Connaissance, le besoin de savoir ne s’arrête pas à eux, seuls. Les moyens d’accéder à cette connaissance, ne sont plus réservés aux seuls élus de l’écriture. C’est ainsi que chez Black(s) To The Future, nous nous sommes donnés pour objectif de contribuer à la diffusion de cet ouvrage, par diverses initiatives de vulgarisation sur notre plateforme, et notamment au titre de sa rubrique DU CRU ET DU CUIT : une vision renouvelée du continent africain, de son advenu, de son devenir.

 

Le but de l’histoire est de témoigner des chemins de l’humanité. Une critique est à l’œuvre désormais pour gommer les déviances du discours colonial qui pour justifier l’entreprise, tendait à accréditer les fables de la supériorité raciale. On n’en finit pas, et encore de nos jours, de mesurer l’influence malheureuse de cette catégorisation du continent premier. Combien ne restent pas victime, de bonne foi, d’une représentation faussée par les besoins idéologiques de cette époque révolue ? Au-delà et aujourd’hui, il s’agit pour tous, de connaitre des raisons objectives de sortir de préjugés dûs à l’ignorance de l’autre, son enfermement dans des catégories construites à dessein pour le dominer… Le monde s’en trouvera meilleur.

Cover photo :

Assimilation 02 © Dillon Marsh

Par Patrick Yehouessi

L’ouverture d’esprit technicienne et humaniste de Patrick, l’a mené de l’organisme de type onusien (Italie) oeuvrant à réduire la fracture numérique Nord/Sud, à la sensibilisation de collectivités villageoises pour la pêche en mer de déchets plastiques (Bénin) ; de la recherche en IA (France), au marketing stratégique dans la Silicon Valley (USA)… il est passionné de l’homme et de son dire universel. Enfant et amoureux du Continent noir, il n’a cessé de réaliser combien certains manques étaient toujours plus flagrants dans la perception de l’Afrique, son histoire, sa variété. B(s)ttF est pour lui l’occasion de contribuer à les combler.

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