Tous ces mots, nous les apprenons au collège, au lycée, à l’université, pendant les cours de géographie… Ils sont là pour caractériser certains Etats par rapport à d’autres du point de vue du « développement ». On produit généralement des cartes, aux couleurs sans appel, qui pointent bons et mauvais élèves : vert pour les pays développés, jaune-orange pour ceux qui le sont moyennement, rouge pour ceux qui ne le sont pas… (Voir : Carte 1 ; Carte 2).
Mais par rapport à quoi ces pays sont-ils donc en retard ?
Qu’est-ce que le développement ?
En 1961, dans son ouvrage L’Economie du XXe siècle, François Perroux, économiste français, définit le développement comme « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel et global ». Dans cette perspective, le développement repose uniquement sur l’accroissement des richesses (le « produit réel et global »).
Cette définition du développement a donné naissance à deux théories du sous-développement, celle de la « dépendance » et celle du « diffusionnisme ». La première est celle d’économistes comme G. Frank, S. Amin, A. Emmanuel, F. Perroux et S. George qui considèrent les pays sous-développés comme la périphérie d’un centre qui se serait enrichi en pillant les ressources de celle-ci, notamment par la colonisation puis par la mise en place d’échanges inégaux. La solution pour se développer serait alors de sortir de la dépendance aux pays dits développés. La théorie du diffusionnisme est celle de Rostow surtout, qui théorise le développement comme un phénomène linéaire, suivant plusieurs étapes obligatoires et devant amener des pays « en retard » au développement, notamment par un apport de capital, endogène ou exogène. Ces deux théories – et les deux types de solutions qu’elles proposent au retard – ont rencontré des limites, liées surtout à une vision très quantitative, économique du développement.
« Cotonou by Night – dy/lofi » (série), M.Y, 2016
Les théories suivantes ont donc cherché à distinguer développement et croissance. Cette dernière repose en effet sur le calcul d’indicateurs économiques, tels le PNB (Produit National Brut) ou le PNB/hab (Produit National Brut par habitant). Le développement, dans sa nouvelle définition englobe des notions comme la qualité des conditions de vie. Ainsi, un pays peut connaître une croissance sans développement, ce qui est le cas, par exemple, des pays producteurs de pétrole.
Lire : Une croissance sans développement… (revue Sciences Humaines)
Lire : Croissance sans développement… anomalie ? (Le Monde / Afrique) |
Aujourd’hui, la définition du développement a pris la mesure de ces différences. Dans l’article « Développement » du Dictionnaire de la Géographie et de l’Espace des Sociétés (sous la direction de J. Lévy et M. Lussault), Ph. Cadène donne la définition suivante : « accroissement des richesses associé à l’amélioration des conditions de vie d’une population sur un territoire ». Par ailleurs, la notion de liberté, de choix, est de plus en plus associée à celle de développement. En 2001, Amartya Sen écrit que « la liberté apparaît comme la fin ultime du développement, mais aussi comme son principal moyen. Le développement consiste à surmonter toutes les formes de non-libertés, qui restreignent le choix des gens et réduisent leurs possibilités d’agir ». Sylvie Brunel y voit l’idée d’une « maîtrise accrue par les hommes de leur propre destin comme de la nature ».
Ce changement de paradigme passe par l’élaboration de nouveaux indicateurs, le plus célèbre d’entre eux étant l’IDH (Indicateur de Développement Humain) proposé aux Nations Unies en 1990 par Amartya Sen. Un point sur ces indices (voir figure 1 ) :
- L’IDH (indicateur de développement humain) « a été créé pour souligner que ce sont les personnes et leurs capacités qui devraient constituer le critère ultime pour évaluer le développement d’un pays […]. [C’]est une mesure sommaire du niveau moyen atteint dans des dimensions clés du développement humain : vivre une vie longue et en bonne santé, acquérir des connaissances et jouir d’un niveau de vie décent », selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement / source =>).
- L’ISDH (indicateur « sexospécifique » de développement humain) a été créé par le PNUD en 1995 et reprend le même principe que l’IDH mais en le séparant en fonction du genre, afin d’établir les inégalités entre hommes et femmes au sein d’un même pays, au lieu de comparer uniquement les pays entre eux.
- L’IPH (Indicateur de pauvreté humaine) apparaît en 1997. Il « signale des manques, des privations ou exclusions fondamentaux d’une partie de la population ». Cet indicateur s’appuie essentiellement sur l’espérance de vie, l’illettrisme, le seuil de pauvreté, le chômage de longue durée (pour les pays « développés ») et sur la longévité et la santé, l’instruction et le niveau de vie (pour les pays « sous-développés » / source =>).
- On peut ajouter l’IPF, indice de participation des femmes à la vie économique et politique, qui apparaît en 1995.
Figure 1 – Tableau synthétique des indicateurs du développement humain mis au point par le PNUD. Source : (ENS Lyon)
Une terminologie foisonnante et non dépourvue d’idéologie
On le voit, le terme de « développement » (et avec lui celui de « sous-développement ») est plastique et est passé d’une définition purement économique à une notion plus humaine. Le malaise que provoquent des mots à la définition ambigüe se ressent aussi dans les nombreuses catégorisations créées.
On a ainsi parlé de développement et donc de pays « développés » et d’autres « sous-développés » (terme qui apparaît dans les années 1950) ou « en voie de développement ». Parallèlement, on a pu évoquer le « mal-développement », généré par le creusement des inégalités qui peut suivre l’application de modèles exogènes (notamment occidentaux).
Dans un contexte de Guerre Froide, Alfred Sauvy popularise en 1952 l’expression « Tiers Monde ». Elle désignait à l’origine les Etats cherchant une troisième voie entre le bloc occidental et le bloc de l’est, entre le socialisme et le capitalisme. A l’idée de développement se greffe celles de solidarité entre les peuples, avec les mouvements de libération nationale, et plus largement d’internationalisme. Depuis la chute du bloc communiste à la fin des années 1980, l’expression a perdu de son sens, même si elle reste enseignée et attachée à l’idée des pays « en voie de développement ».
Lire : Trois mondes, une planète (magazine L’Homme Moderne via l’Observateur) |
Dans les années 1980 apparaît alors le binôme « Nord-Sud » : « l’effondrement d’un des deux blocs qui se partageaient le Monde laisse plus que jamais apparentes les disparités entre ce que l’on ne sait plus nommer autrement que par référence à des points cardinaux […], faute d’euphémisme nouveau pour remplacer ceux qui ont fait leur temps, des pays sous-développés aux pays en voie de développement et aux pays les moins avancés » (R. Brunet et al., 1993, Les Mots de la Géographie, dictionnaire critique, GIP Reclus, 520 p.). Cette expression a connu un certain succès auprès des institutions et des géographes ou des économistes, mais aussi du grand public et des éditeurs de manuels scolaires, en grande partie grâce à sa neutralité apparente. On mentionne non plus l’état d’avancée ou de retard d’un pays, mais sa « localisation ». Cependant, les limites de cette expression sont vite apparues, ne serait-ce que parce que tous les pays dits « du Sud » ne sont pas au sud du planisphère ou parce que certains espaces situés au sud n’était pas « du Sud » (on n’a qu’à voir le cas de l’Australie sur la figure 2). On voit bien aussi sur la carte que la « limite Nord/sud » ne correspond finalement pas à une localisation géographique, beaucoup de pays dits « du Sud » se trouvant finalement dans l’hémisphère nord (notamment les pays d’Afrique sub-saharienne ou ceux d’Asie).
Figure 2- Le développement humain dans les pays dits « du Nord » et les pays dits « du Sud ». Source : manuel d’histoire-géographie Hatier de 3e, modifié par M.Y
Pour apporter un peu de nuance dans le binôme Nord/Sud, on a adopté le pluriel. On parle désormais « des Nords » et « des Suds », tout en jouant sur des échelles. En fonction des niveaux de développement de certains quartiers, par exemple, on peut trouver des Nords dans les Suds ou des Suds dans les Nords.
D’autres termes encore : PMA (« pays les moins avancés »), PRI (« Pays à revenus intermédiaires »), NPI (« Nouveaux pays industrialisés »), le triptyque des organisations internationales (« developed countries / less developed countries / least developed countries », soit « pays développés », « pays moins développés », « pays les moins développés »). On le voit, quelle que soit la terminologie, on revient toujours à la comparaison avec un but idéal – et idéalisé – celui du développement, sorte d’état climacique, Nirvana de l’évolution d’un pays, de sa population et de son économie, vers lequel toutes les forces actives devraient tendre. Qu’en est-il vraiment ? Le développement est-il la seule voie ?
lire la seconde partie =>
Bibliographie
BRUNEL Sylvie, 1996, Le Sous-développement, PUF, « Que sais-je? », 128 p.
KABOU Axelle, 1991, Et si l’Afrique refusait le développement ?, L’Harmattan, 208 p.
PNUD, 2015, Le Travail au service du développement humain, Rapport sur le développement humain, 38 p.
SEN Amartya, 2003, Un nouveau modèle économique: développement, justice, liberté, coll. Poches, éd. Odile Jacob, 480 p.
Un document historique sur la conférence de Bandoeng (1955) et les relations Nord-Sud : http://education.francetv.fr/matiere/epoque-contemporaine/troisieme/video/relations-nord-sud-la-conference-de-bandung-en-1955
Couverture
M.Y pour B(s)ttF
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